Origine physique du polymorphisme cristallin

On peut introduire de façon simplifiée le concept d'allotropie des corps simples ou de polymorphisme cristallin des molécules à partir de la notion d'empilement.

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Empilement stable, métastable ou instableInformations[2]

Considérons un système de boules placé dans le champ de gravité. Il est facile de voir qu'il y a plusieurs arrangements possibles des nappes les unes par rapport aux autres. L'empilement ordonné de la figure précédente (en a-) correspond à la compacité la plus importante ; on prend avantage des espaces laissés libres entre les boules de la première rangée pour venir placer les boules de la seconde rangée. Ce type d'arrangement qui se traduit par une densité importante correspond à une grande stabilité, les boules n'ont pas beaucoup de degrés de liberté pour se mouvoir les unes par rapport aux autres. Dans le cas de l‘empilement en b-, on a à l'évidence une situation instable. Quant à la situation représentée en c-, elle correspond à une situation de désordre telle qu'on peut l'avoir dans un sac de billes qui modèle sa forme sous l'influence d'une très faible contrainte (de la main par exemple) et correspond à une situation de grande réactivité.

À partir de ce simple concept d'empilement, on peut déjà tirer quelques lois générales comme celle reliant la densité intrinsèque d'une molécule dans un état cristallin donné et sa stabilité thermodynamique. Plus la densité d'empilement est grande, plus petite est la possibilité des entités de se mouvoir (aspect énergie cinétique) et plus faible également est la facilité de pénétration du réseau par une entité externe (aspect cinétique de dissolution et/ou réaction chimique avec une autre entité chimique).

Comme dans le cas de nos billes, on peut aisément imaginer que des corps simples ou des molécules pourront, sous l'effet de certaines forces, adopter des arrangements tridimensionnels répétitifs correspondants à des états plus ou moins compacts, donc plus ou moins stables.

Les arrangements intermédiaires moins compacts peuvent cependant présenter une stabilité suffisante (métastabilité) pour être isolés ou subsister plus ou moins longtemps.

Pour essayer de donner une idée plus approfondie et plus quantitative que la simple notion d'empilement, de l'origine du polymorphisme (allotropie), nous allons nous placer au zéro absolu et sous une pression \(P\). Les entités atomiques ou moléculaires occupent des positions fixes dans l'espace caractéristique du réseau cristallin adopté. Cette situation d'équilibre résulte d'un équilibre entre les forces d'attraction \(F_A\) et les forces de répulsion \(F_R\) auxquelles sont soumises les entités dans la structure cristalline.

Dans le cas des atomes ou des molécules minérales et organiques, les forces physiques attractives misent en jeu sont de nature quantique bien sûr, mais sont généralement présentées dans le cadre de la physique « classique » de la façon suivante :

  • forces ioniques coulombiennes,

  • forces de type van der Waals,

  • forces impliquées dans les liaisons hydrogènes (pour les molécules possédant des protons mobiles et des centres accepteurs+, cas des solvants comme l'eau),

  • forces de covalence dans le cas de l'allotropie (exemple carbone/graphite/diamant).

Complément

Les forces d'interaction entre particules sont décrites plus précisément dans la présentation de la théorie DLVO[3], au chapitre Agglomération[4].

Pour ce qui concerne les forces répulsives leur origine est de nature essentiellement quantique et sont une conséquence directe, d'une part du principe d'exclusion de Pauli et, d'autre part, de la répulsion des noyaux atomiques chargés positivement.

On suppose en général que ces deux types de force dérivent d'un potentiel correspondant respectivement à une énergie d'attraction \(U_A \left(r\right)\), fonction de la distance r entre les entités et essentiellement négative, et une énergie de répulsion \(U_R \left(r\right)\) essentiellement positive comme cela est représenté ci-dessous. L'énergie totale \(U_T\), qui est donc l'énergie réticulaire, passe par un minimum pour une valeur de \(r_m\) bien déterminée et correspondant à une organisation spatiale bien précise. Cette valeur \(r_m\) représente la distance moyenne d'un atome, ion ou molécule par rapport à ses voisins les plus proches. On associe ainsi un type d'organisation spatiale (à travers \(r_m\)) à une situation énergétique (à travers \(U_m\)).

Énergie d'interaction U entre deux atomes ou molécules en fonction de leur distance | | Informations complémentaires...Informations
Énergie d'interaction U entre deux atomes ou molécules en fonction de leur distanceInformations[6]

On peut facilement imaginer que, dans certains cas, il sera possible d'obtenir différentes organisations spatiales (\(r_i\)) correspondant à des minimums locaux d'énergie \(U_{mi}\) comme cela est montré dans la figure suivante.

Variation de l'énergie réticulaire en fonction de la géométrie de la forme cristalline considérée repérée par la coordonnée généralisée r | | Informations complémentaires...Informations
Variation de l'énergie réticulaire en fonction de la géométrie de la forme cristalline considérée repérée par la coordonnée généralisée rInformations[8]

Dans ce cas, la molécule considérée présente trois minimums locaux pour les énergies réticulaires, \(U_{m1}\), \(U_{m2}\) et \(U_{m3}\) correspondant à trois formes cristallines possibles dont la stabilité croit de la forme 1 à la forme 3. Mais, et c'est là un point fondamental, comme dans tout processus physico-chimique, les différents minimums sont séparés par des barrières d'énergie d'activation (ici \(U^*_{1,2}\) et \(U^*_{2,3}\)). Ce sont les hauteurs en énergie de celles-ci qui règle la cinétique de transformation de \(1 \rightarrow 2 \rightarrow 3\). Si elles sont importantes, la possibilité existe de pouvoir isoler les formes intermédiaires 1 et/ou 2 qui seront alors appelées des formes métastables, la forme 3 correspondant quant à elle à la forme la plus stable.

L'importante conclusion à tirer de cette introduction très simplifiée est que :

Fondamental

Le polymorphisme cristallin des molécules ou corps simples n'existe que du fait de l'existence de barrières d'énergie suffisamment hautes au regard de la température et de la pression considérées, pour réduire la cinétique de transformation d'une forme métastable/instable vers une forme stable à une valeur quasiment nulle, en tout cas très faible par rapport à notre échelle de temps.

Nous avons développé ce paragraphe en supposant que nous étions au zéro absolu sous une pression \(P\) et avons ainsi identifié la différence d'énergie libre des différentes formes à la différence de leurs énergies réticulaires. En réalité, tout système physique en équilibre avec son environnement est soumis à une certaine température absolue \(T\) et à une pression \(P\). Ayant introduit ces deux variables, nous rentrons dans le domaine de la thermodynamique du polymorphisme que nous allons aborder dans ce qui suit et verrons comment le classement énergétique précédent \(U_{m1} > U_{m2} > U_{m3}\) peut se trouver entièrement bouleversé en fonction de la zone \([T, P]\) considérée.

Remarque

Il est possible aujourd'hui, à partir des théories quantitatives rendant compte de ces diverses forces, de construire des modèles mathématiques permettant de calculer les énergies de réseaux cristallins (énergie réticulaire) à la température du zéro absolu et d'effectuer dans certains cas favorables une prévision du phénomène de polymorphisme. Nous en dirons quelques mots à la fin de ce chapitre.