Les mécanismes microstructuraux

Fluage se traduit en anglais par «creep». Ce terme, signifiant «ramper», est plus explicite que son équivalent français car il traduit parfaitement la typologie des mécanismes micro-structuraux mis en jeu lors des déformations en fluage. Le fluage est en effet caractérisé par le déplacement de défauts ponctuels, typiquement les lacunes, au sein du matériau soumis à une contrainte et porté à haute température. Ces défauts diffusent (rampent) et peuvent localement se rassembler, préférentiellement aux joints de grains, pour former des cavités ou des porosités selon des déplacements lents et progressifs. Ce sont donc les phénomènes de diffusion lacunaire, thermiquement activés qui donnent naissance à l’endommagement par fluage parce que les lacunes peuvent collectivement s’agréger pour former des défauts macroscopiques susceptibles de générer une décohésion des joints de grains. Ce mécanisme est appelé fluage-diffusion. La diffusion des défauts ponctuels est plus aisée le long de surfaces caractérisées par des désordres structurel et physico-chimique, par exemple les joints de grains (voir Fig. ci-après). Les joints de grains représentent des courts-circuits de diffusion dont les caractéristiques micro-structurales conduisent à multiplier environ par \(10^6\) la vitesse de diffusion des lacunes. Également, la densité de lacunes est particulièrement importante au niveau des joints de grains ou des joints de phases qui sont des zones d’accommodation des différences d’orientation cristallographique entre grains ou de désaccords paramétriques entre phases. Elle y est en tout état de cause supérieure à la densité de lacunes dans le volume des grains. En conséquence, les matériaux destinés à la fabrication d’éléments dimensionnés pour résister à des sollicitations de fluage présentent généralement des grains de grande dimension ou sont, le cas échéant, de structure monocristalline de façon à être complètement exempts de joints de grains.

Micrographie en microscopie électronique à balayage montrant les grains et les joints de grains dans un superalliage base Nickel | Fabio Tania, Denis Delagnes et Philippe Lours, Institut Clément Ader, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Micrographie en microscopie électronique à balayage montrant les grains et les joints de grains dans un superalliage base NickelInformations[2]
Micrographies électroniques de joints de grains et joints de phases : images en MET Haute Résolution montrant, à l'échelle atomique, un joint de grains Al-Al et un joint de phase Al-Ge | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Micrographies électroniques de joints de grains et joints de phases : images en MET Haute Résolution montrant, à l'échelle atomique, un joint de grains Al-Al et un joint de phase Al-GeInformations[4]

Lorsque la contrainte est suffisamment élevée, un mouvement particulier des dislocations coin peut être activé. Il s’agit d’un mouvement de montée, également lié à la diffusion orientée des lacunes (voir Fig. ci-après). Contrairement au mouvement classique de glissement des dislocations dans les plans cristallins, la montée est assistée par la diffusion de lacunes qui peuvent, dans un mouvement collectif et synergique se déplacer vers le cœur de dislocations. Cet afflux local de lacunes permet alors un mouvement de la dislocation hors des systèmes de glissement usuels.

Principe du mouvement de montée des dislocations coin assisté par la diffusion de lacunesInformations[5]

La figure suivante correspond à une représentation schématique d’une carte de déformation de Ashby. Le diagramme indique les différents types de déformation rencontrés, en fonction de la température, normalisée par la température de fusion du matériau, et de la contrainte appliquée, elle-même normalisée par le module de cisaillement du matériau. À faible contrainte et basse température, le matériau se déforme élastiquement (régime 3). À plus forte contrainte, la déformation plastique par glissement - simple ou multiple - des dislocations se produit, elle est éventuellement provoquée par le glissement dévié des dislocations, thermiquement activé, pour les températures les plus hautes (régime 4). Lorsque la contrainte est faible, en-deçà de la limite élastique du matériau considéré, mais que la température est élevée, le fluage est opérant (régimes 1 et 2). Pour les domaines correspondant aux plus basses contraintes et températures, le fluage se fait par diffusion thermiquement activée des défauts ponctuels principalement le long des joints de grains mais également le long des lignes de dislocations présentes dans le matériau, c’est le régime 1' de fluage-diffusion aux joints de grains et sur les dislocations. Si la température est proche de la température de fusion du matériau, les défauts ponctuels ne nécessitent pas de support pour diffuser et peuvent se déplacer, de façon relativement facile dans le réseau cristallin même, c’est le régime 1'' de fluage-diffusion en réseau. Lorsque température et contrainte sont proches des valeurs seuil, respectivement la température de fusion et la limite d’élasticité des matériaux, alors les dislocations coin peuvent monter et provoquer ainsi une déformation plastique importante qui s’ajoute à la déformation générée par la diffusion des défauts ponctuels, c’est le régime 2 de fluage-dislocation.

Carte de déformation de Ashby | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Carte de déformation de AshbyInformations[7]

En relation avec les mécanismes de déformation mis en jeu, les ruptures en fluage sont purement inter-granulaires, précédées d’une phase de coalescence des lacunes et des cavités formées aux joints de grains.

Formation de cavités et rupture intergranulaire en fluage (alliage FeCrAl - ODS – Oxide Dispersion Strengthened – obtenu par métallurgie des poudres) | Sabine Leroux et Philippe Lours, Institut Clément Ader, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Formation de cavités et rupture intergranulaire en fluage (alliage FeCrAl - ODS – Oxide Dispersion Strengthened – obtenu par métallurgie des poudres)Informations[9]

La tenue en fluage des alliages métalliques est étroitement liée à la taille de grains. Le développement des générations successives d’aubes de turbines des turboréacteurs, élaborées par fonderie en superalliage à base nickel, est très emblématique des recherches visant à optimiser la taille et la morphologie des grains (voir les Fig. suivantes). Historiquement, la première génération d’aubes présentait des grains équiaxes de taille importante afin de réduire au maximum la surface totale des joints de grains. La durée de vie en fluage, certes améliorée par rapport à la durée de vie caractéristique d’alliages à grains fins, était cependant trop faible au regard des performances exigées. Au-delà de la présence, encore trop nombreuse de joints, c’est également la trop forte densité de joint d’orientation transversale à l’effort qui conduisait à une durée de vie relativement faible, conventionnellement égale à 1 à titre de référence sur cette figure. L’idée majeure permettant de développer une deuxième génération d’aubes plus durables a été - tout en provoquant une croissance contrôlée des grains - de les orienter dans une direction parallèle à l’effort appliqué, essentiellement lié à la force centrifuge générée par la rotation du moteur. Augmenter la taille de grains et éliminer la composante transverse des joints de grains a permis de multiplier par 4 la durée de vie. Enfin, la troisième et dernière génération d’aubes prévoit d’éliminer complètement la présence des joints de grains en favorisant la croissance d’un seul grain pour obtenir un monocristal. Pour ces deux générations d’aubes, l’orientation de croissance est la direction cristallographique \(<100>\) qui présente le module d’élasticité le plus faible. Ceci permet d’augmenter sensiblement la résistance à la fatigue thermique qui est, en plus du fluage, un mode d’endommagement possible et fréquent des aubes. En effet, pour une différence de température donnée \(\Delta T\), par exemple entre partie mince et partie épaisse de l’aube, la déformation s’écrit \(\varepsilon_{th}= \alpha \Delta T\) et la contrainte associée, directement proportionnelle au module d’élasticité \(E\) est \(\sigma_{th}= E \alpha\Delta T\). Choisir une direction de croissance de faible module revient donc à minimiser les contraintes et les déformations d’origine thermique.

Evolution des microstructures d’aubes de turbine : macrographies | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Evolution des microstructures d’aubes de turbine : macrographiesInformations[11]
Evolution des microstructures d’aubes de turbine : représentation schématique de la structure de grains | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Evolution des microstructures d’aubes de turbine : représentation schématique de la structure de grainsInformations[13]
Evolution des microstructures d’aubes de turbine : relation entre structure de grains et résistance croissante au fluage | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Evolution des microstructures d’aubes de turbine : relation entre structure de grains et résistance croissante au fluageInformations[15]

Le procédé d’élaboration des aubes consiste à tirer le moule de fonderie en céramique, représentatif de la forme finale recherchée, au travers d’un gradient de température abrupt (environ \({200}{\rm \, °C}\) par centimètre) qui oriente la croissance des dendrites (voir Fig. suivante). En conséquence, les dendrites se développent d’une extrémité du lingot à l’autre produisant une structure colonnaire (DS pour Directional solidification) qui résulte d’un empilement des rangées atomiques les unes sur les autres. Pour la production de monocristaux, le procédé est légèrement modifié en utilisant un sélecteur de grains qui permet la suppression de tous les germes naissant sauf un qui se développe seul dans le moule. Un refroidissement intense est mis à contribution pour assurer une germination satisfaisante au début du processus. A priori les germes se forment initialement selon des orientations aléatoires mais les bras primaires des dendrites qui croissent selon \(<100>\), l’orientation de croissance la plus facile, deviennent vite prédominants. La parfaite uniformité de la vitesse de tirage au travers du gradient thermique, égale à la vitesse de solidification du matériau dans l’orientation sélectionnée, garantit une bonne homogénéité des espaces entre les bras secondaires des dendrites sur l’ensemble du lingot.

Solidification dirigée : principe du procédé de fonderie à la cire perdue avec sélecteur de grain développé pour la solidification monocristalline | Philippe Lours, École des mines d'Albi-Carmaux, 2014. | Informations complémentaires...Informations
Solidification dirigée : principe du procédé de fonderie à la cire perdue avec sélecteur de grain développé pour la solidification monocristallineInformations[17]