Approche théorique : Prédiction du polymorphisme

Il est bien sûr tentant de penser qu'il serait plus qu'intéressant si nous pouvions prévoir, à partir de la structure de la molécule, neutre ou sous forme de sels, toutes les structures cristallines possibles.

Disons pour être honnête, que l'on ne peut répondre positivement aujourd'hui. Des progrès ont certes été accomplis, mais ils se limitent pour le moment à de petites molécules neutres de masse moléculaire inférieure à 500. Les méthodes utilisées reposent sur la mécanique quantique et moléculaire.

Par ailleurs nous avons vu que la stabilité des formes relativement les unes aux autres dépend de la température et de la pression. Il faudrait savoir modéliser l'évolution des capacités thermiques des formes en fonction de \(T\) et \(P\) en partant des structures au zéro absolu, connaître le devenir des stabilités relatives. On se limite donc essentiellement à calculer les énergies réticulaires au zéro absolu (absence de vibration des molécules autour de leur point d'équilibre).

Des logiciels sont apparus sur le marché, qui utilisent des champs de forces fondés sur l'utilisation de la mécanique moléculaire. Très généralement, ces champs de force contiennent des termes décrivant l'énergie de la molécule elle-même dans sa ou ses conformations adoptées dans la maille et, bien sûr, des termes décrivant l'énergie d'interaction intermoléculaire à l'origine de l'existence de la structure cristalline.

L'énergie potentielle totale de la molécule au sein de la structure cristalline et alors du type suivant :

\[E_{totale} = E_s + E_b + E_{tors} + E_{vdw} + E_{elec}\]

Avec :

  • \(E_s\) Énergie de vibration des liaisons de la molécule entre atomes voisins ;

  • \(E_b\) Énergie de torsion angulaire dans le plan ;

  • \(E_{tors}\) Énergie de torsion autour d'une liaison centrale ;

  • \(E_{vdw}\) Énergie provenant des interactions de van der Walls modélisées par des champs de force comportant un terme attractif et un terme répulsif. Par exemple, \(E_{vdw} = -\frac{A}{R^6}+Be^{-\alpha . R}\) ;

  • \(E_{elec}\) Énergie d'interaction électrostatique fondée sur la loi de Coulomb (cas des sels).

D'autres termes peuvent être introduits le cas échéant, en particulier pour rendre compte des liaisons hydrogène. L'énergie potentielle totale est fonction des positions intra et inter-moléculaires des atomes repérées par les distances \(R_{i,j}\).

À partir de là ,on recherche des minimum locaux de l'énergie potentielle totale définis par \(\frac{\partial E_{totale}}{\partial R_{i,j}} = 0\), et qui vont permettre de remonter à la structure et aux positions des molécules dans la maille. Notons que ce type de calcul est affaire de spécialistes, et qu'il faut être prudent dans la manipulation sans esprit critique des logiciels existant sur le marché.

Si la molécule présente de nombreuses conformations possibles, les temps de calcul peuvent devenir rédhibitoires.

Enfin, dans le cas relativement fréquent où la molécule se présente sous forme de sels type \(\ce{[A- X+]}\) par exemple, c'est plutôt la difficulté d'adapter des champs de force à la diversité des situations qui est le point délicat. Par contre, si les structures absolues obtenues par analyse sur monocristaux, sont disponibles, on peut calculer les énergies \(U_i \left( 0 \right)\) de chaque forme \(i\) au zéro absolue, ce qui peut apporter d'utiles informations en complément de celles obtenues expérimentalement.

Par exemple, dans le cas de Rimonabant, trois types de champs ont été utilisés, qui dans chaque cas a donné une énergie supérieure pour la forme I d'environ 6-8 kJ.mole-1, en excellent accord avec l'évaluation expérimentale.

Il faut cependant dire que cette méthode fondée sur la minimisation de l'énergie potentielle totale, n'est pas toujours suffisante pour prédire correctement les formes cristallines réellement observées. La méthode peut en effet générer un nombre important de minimums locaux d'énergie produisant des structures hypothétiques peu réalistes.

D'autres approches sont possibles, comme celle fondée sur la notion « d'ingénierie cristalline » utilisant la notion de synthons supramoléculaires. On part d'une structure connue (phase mère) et on essaie d'extraire un fragment périodique contenant, si possible, une part importante de l'énergie réticulaire de la phase mère.

Partant de ce motif de base, on tente de trouver un ou plusieurs empilements dans l'espace par adjonction de nouveaux éléments de symétrie (ou déplacement d'éléments de symétrie déjà existant de la phase mère). On procède alors à une minimisation de l'énergie des réseaux ainsi générés. Ces réseaux virtuellement générés peuvent faire l'objet d'un calcul de leurs spectres théoriques de diffraction de RX[1], permettant une comparaison avec les formes cristallines expérimentalement obtenues.