Interface rugueuse et Interface lisse (Théorie de la rugosité – Gilmer et Bennema)

En 1951 Burton, Cabrera et Franck[1] ont écrit un article fondamental de la théorie de la croissance cristalline en milieu gazeux, reposant sur le modèle d'Ising. Ce modèle 2D considère l'interface entre un cristal et une phase vapeur comme un réseau divisé en cellules de gaz, de solide et de vide/fluide. Dans ce réseau, il y a des transitions de phase ordonnée - phase désordonnée, connues sous le nom de transition rugueuse et définies par une température limite appelée température de transition rugueuse \(T^R\). Pour une température inférieure à \(T^R\), les faces cristallines sont planes/lisses, tandis que pour une température supérieure à \(T^R\), les faces cristallines seront rugueuses.

Afin d'appliquer le modèle mécanique-statistique de Ising, la surface du cristal doit être divisée en cellules de la même taille et de la même forme. Ensuite à chaque cellule est attribuée la phase solide ou fluide (voir schéma suivant issu de Hurle, 1993[2]).

Considérons une surface divisée en carrés. Ce bloc cristallin est appelé cristal de Kossel et il est soumis à la condition solide sur solide (solid on solid SOS) qui oblige les cellules de solide à exister seulement si elle repose sur une autre cellule de solide. Ainsi dans le bloc cristallin, il n'existe pas de cellules de fluide ou de solide isolées. Les domaines de solide et de fluide sont séparés par des frontières d'énergie libre plus grande que zéro. Dans le domaine rugueux les frontières disparaissent et l'énergie libre devient nulle.

Dans cette théorie, chaque élément de surface est caractérisé par sa hauteur \[{\alpha }_{\mathrm{xy}}\], et par la physique statistique des interactions entres proches voisins. Pour chaque élément de surface, l'énergie globale des liaisons peut être modélisée par la méthode de Monte-Carlo à partir de l'énergie de liaison solide-fluide et de la sursaturation :

\[\frac{\phi }{{k}_{B}T}=\frac{{\phi }^{\mathrm{sf}}-1/2\left({\phi }^{\mathrm{ss}}+{\phi }^{\mathrm{ff}}\right)}{{k}_{B}T}\]

et

\[\beta \mathrm{'}=\frac{\Delta \mu }{{k}_{B}T}=\frac{{\mu }^{f}-{\mu }^{s}}{{k}_{B}T}\]

\[\phi \] est une énergie de liaison, \[{k}_{B}\] est la constante de Boltzmann et \[T\] la température absolue. \[\phi \] représente l'énergie de formation d'une liaison solide-fluide (sf) par rapport à la formation d'une demi liaison solide-solide (ss) et d'une demi liaison fluide-fluide (ff).

\[\beta \mathrm{'}\] est la force motrice de la cristallisation où \[{\mu }^{f}\] est le potentiel chimique d'une cellule de fluide et \[{\mu }^{s}\] est le potentiel chimique d'une cellule de solide. Pour les forces motrices faibles la force motrice de la cristallisation \[\beta \mathrm{'}\] est proportionnel à la sursaturation.

Les énergies de liaison \[{\phi }^{\mathrm{ss}}\] , \[{\phi }^{\mathrm{ff}}\] et \[{\phi }^{\mathrm{sf}}\] sont admises comme étant de signe négatif. En considérant le vide au lieu du fluide \(\phi ^{ff} = \phi ^{sf} = 0\), l'énergie de liaison s'écrit :

\[\frac{\phi }{{k}_{B}T}=\frac{-{\phi }^{\mathrm{ss}}}{{2k}_{B}T}\]

\[\phi \] est donc positif. La quantité \[\frac{\phi }{\left({k}_{B}T\right)}\] permet de définir les propriétés d'équilibre d'une surface.

La croissance d'un cristal est le résultat de la superposition de surfaces comme celle de la figure précédente[3] couche par couche. Ces couches sont formées d'unités de croissance.

Les couches grandissent les unes sur les autres par des marches d'énergie libre \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}\] auxquelles s'ajoutent au fur et à mesure des unités de croissance.

Un paramètre \[\alpha \] défini en fonction des énergies de formation des liaisons est couramment utilisé pour donner des indications sur la rugosité des surfaces :

\[\alpha =\frac{4\phi }{{k}_{B}T}\]

L'expérience a démontré :

  • quand\[\alpha \] est faible et \[\phi \] est constant, la diminution de température diminue la vitesse de croissance. À basse température, les surfaces seront lisses en conséquence la fraction de collage sera plus faible.

  • quand\[\alpha \approx 3,2={\alpha }^{P}\], il existe une transition rugueuse.

La transition rugueuse est définie par une température adimensionnelle :

\[{\theta }^{P}=\left(\frac{2{k}_{B}{T}^{P}}{\phi }\right)\]
  • Si \[\theta <{\theta }^{P}\] alors \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}>0\] ; la face est lisse

    le cristal grossit par un mécanisme de couche (nucléation bidimensionnelle ou croissance par une spirale) parce que \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}>0\].

    Il est évident que si \[\theta <{\theta }^{P}\] et \[\alpha >{\alpha }^{P}\] les surfaces restent lisses.

  • Si \[\theta \ge {\theta }^{P}\] alors \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}=0\] ; la face est rugueuse

    le cristal grossit sans barrière d'énergie parce que \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}=0\].

    Les surfaces deviendront rugueuses sans orientation cristallographique \[\left(\mathrm{hkl}\right)\] et sans barrière d'énergie pour la formation d'une marche (\[{\sigma }_{\mathrm{marche}}=0\]).

\[\sigma \] est l'énergie libre de la marche, et \[\theta =\left(\frac{{2k}_{B}T}{\phi }\right)\] la température adimensionnelle de la surface.

Les grandes surfaces sont formées quand \[{\sigma }_{\mathrm{marche}}>0\].