Approche thermodynamique Pression/Température

Comme nous l'avons dit, une étude de la thermodynamique du polymorphisme ne devrait s'aborder que dans le cadre de la prise en compte des deux variables Pression et Température.

Il faut souligner en particulier que la plupart des déterminations effectuées par ACD[1] ne respectent pas la condition \(P= \textrm{Cte}\). D'autre part, dans la cellule de mesure, l'échantillon de poudre est surmonté d'un volume libre (espace de tête) ce qui veut dire que la phase solide est en équilibre chimique avec sa vapeur. Même si la tension de vapeur est très faible pour beaucoup de solide, elle n'est jamais nulle. Au moment de la fusion nous avons donc un équilibre entre trois phases : solide, liquide et vapeur.

D'après la règle de la variance d'un système formulée par Gibbs, le nombre \(\nu\) de paramètres qu'il faut fixer pour définir un système en équilibre contenant \(C\) constituants et \(\phi\) phases en équilibre est égal à :

\[\nu = C + 2 - \phi\]

Dans le cas envisagé, i.e. à la fusion, nous avons \(C = 1\), et \(\phi=3\) et donc la variance est nulle. Cette situation correspond au cas du point triple qui est un invariant du système caractérisé par des valeurs bien précises de la température et de la Pression, \(T_{tr}\) et \(P_{tr}\). Dans la plupart des livres et des publications consacrées à ce sujet, les auteurs parlent d'une détermination de la température de fusion effectuée sous la pression atmosphérique, ce qui est faux. Il faudrait pour cela que la nacelle contenant l'échantillon contienne un piston venant "coller" au solide pour ne pas laisser d'espace de tête. C'est seulement dans le cas où l'on envisage un travail d'expansion \(P_{\textrm{totale}}.\Delta V\) qu'il faut alors considérer la pression totale.

Mais la critique la plus importante qu'on peut adresser à l'approche \(P=\textrm{Cte}\) provient du fait que les caractéristiques énantiotrope et/ou monotrope d'un système polymorphique ne dépend pas seulement de la température, mais également de la pression.

Nous ne pouvons rentrer ici dans l'approche expérimentale, mais pour expliquer brièvement le propos nous allons considérer la figure suivante qui représente le cas de l'énantiotropie visualisée dans un diagramme \(P, T\).

Cas de diagramme possible en représentation P, T pour un système énantiotrope (qui est en l'occurrence celui du soufre qui présente deux formes allotropiques 1= beta et 2= alpha). | | Informations complémentaires...Informations
Cas de diagramme possible en représentation P, T pour un système énantiotrope (qui est en l'occurrence celui du soufre qui présente deux formes allotropiques 1= beta et 2= alpha).Informations[3]

On voit que la forme 2 n'est stable que dans le domaine de \(P, T\) délimité par le pseudo triangle B,C,F. La ligne BF représente la variation de la température de transition \(T_T\) en fonction de la pression ce que ne permet pas d'appréhender l'approche à \(P=\textrm{Cte}\). Dans tout le domaine \(P_B \le P \le P_F\) et \(T_B \le T \le T_F\), le système est énantiotrope (\(A \leftrightarrows B\)). C'est la conclusion à laquelle on aurait abouti en suivant l'approche des paragraphes précédents. Enfin on voit qu'au-dessus du point F la phase cristalline 2 devient métastable, la forme 1 devenant stable dans tout le domaine défini par \(P \ge P_F\) et \(T \ge T_F\) . À partir de là le système devient monotrope.

Il se peut également que l'une des formes cristallines soit totalement instable dans tout le domaine de pression et de température. On parle alors d'une monotropie généralisée comme le diagramme de phase suivant le montre.

Cas d'une monotropie généralisée. | | Informations complémentaires...Informations
Cas d'une monotropie généralisée.Informations[5]

Ici la surface \(G_S^{\alpha}\) de la forme \(\alpha\) se trouve partout au dessus de la surface \(G_S^{\beta}\) de la forme \(\beta\). On traduit ce fait dans la représentation \(P(T)\) en dessinant en traits pointillés le diagramme unaire de la phase \(\alpha\) et en traits pleins celui de la phase \(\beta\).

On voit bien maintenant en quoi l'approche \(P=\textrm{Cte}\) est critiquable. Elle permet cependant dans le cadre d'une introduction de saisir quelques concepts importants tout en sachant qu'il faut aller plus loin si on souhaite être rigoureux.

Comment ce type de diagramme peut-il être établi ?

Il faut se rappeler que les courbes présentées dans les diagrammes \(P, T\) [6]sont les projections dans ce plan des courbes d'intersection des surfaces \(G(T,P)\) des phases solide, liquide et vapeur, caractérisant un corps pur. Comme on le sait, chacune de ces courbes (fusion, sublimation, évaporation) est décrite par une équation de Clapeyron. Si l'on s'intéresse à la fusion, on obtient :

\[\frac{dP}{dT} = \frac{\Delta H_f}{T_f\cdot\Delta v_M}\]

\(\Delta v_M\) est la variation du volume molaire entre la phase cristalline et la phase fondue ou liquide.

On se fonde sur le fait qu'au moment de la fusion de la forme cristalline, nous sommes en présence de trois phases :solide, liquide (fondu) et vapeur.

Par définition, la mesure du point de fusion de la forme considérée, effectuée par ACD[1], l'est au point triple du système. Prenons le cas de la figure précédente[8] (vide infra). Nous avons pour les deux formes cristallines F1 et F2 les enthalpies et les points de fusion aux deux points triples \(\alpha\) et \(\beta\) des systèmes F1 et F2 pris séparément. Il est supposé ensuite que les enthalpies de fusion ne variant que très peu avec la température et la pression, on peut représenter les courbes de fusion sous forme de droites en intégrant simplement la relation de Clapeyron :

\[P(T) = P_T + \frac{\Delta H_f}{T_T \cdot \Delta V_m} \left(T - T_T \right)\]

On ne mesure bien sûr pas la pression de vapeur au point triple (sauf exception) qui est bien évidemment très faible en générale, mais jamais nulle. Ces diverses remarques confèrent à cette approche un caractère essentiellement topologique permettant de positionner les phases les unes par rapport aux autres, en terme de stabilité thermodynamique. Il est possible d'obtenir expérimentalement la courbe \(P(T)\), si on dispose d'un calorimètre sous pression permettant de mesurer le point de fusion sous différentes pressions. On peut également mesurer expérimentalement \(\Delta v_M\) en couplant des études de diffraction par rayons X avec une étude par dilatomètrie de la phase fondue en fonction de la température et donc obtenir finalement, pour chaque forme cristalline, la pente de la droite de Clapeyron correspondant à la fusion. Il faut ensuite, en dehors de \(\alpha\) (F1, liquide, Vapeur) et \(\beta\) (F2, liquide, vapeur), positionner les autres points triples, qui correspondent dans le cas d'un dimorphisme, aux systèmes (F1, F2, liquide) et (F1, F2, vapeur). Nous ne pouvons rentrer ici dans les détails.

Remarque

Si vous souhaitez aller plus loin, nous conseillons la lecture d'un article de Céolin et col., 1992[9].

Nous étudierons plus loin (voir Choix de la forme cristalline...[10]) le cas de la molécule de Rimonabant dans le cadre de la représentation sous Pression constante développée précédemment. Cependant l'étude complète telle que décrite ici a été réalisée et le diagramme de phase obtenu est très comparable à celui de la figure précédente[11], indiquant une monotropie généralisée, la forme 1 étant toujours métastable quelques soient la température et la pression.

On voit que l'information obtenue est bien plus générale que celle présentée sur la figure suivante, qui ne représente la situation que pour un domaine restreint de pression.

Diagramme théorique montrant la relation de monotropie entre les formes I et II du Rimonabant. | | Informations complémentaires...Informations
Diagramme théorique montrant la relation de monotropie entre les formes I et II du Rimonabant.Informations[13]