Mécanique des milieux coulombiens : critère de Coulomb et cercle de Mohr

Coulomb généralise l’étude précédente : à l’application d’une force sur un milieu granulaire, il y a séparation du bloc de poudre en deux blocs rigides (voir le schéma), séparés par une zone plastifiée (d’une épaisseur qui dans la pratique n’excède pas la dizaine de particules) si localement, le long du plan de glissement, les contraintes tangentielle et normale \(\tau\) et \(\sigma\) vérifient :

\[\tau=\mu \sigma + c\]

\(c\), appelé cohésion rend compte des forces interparticulaires.

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Rupture le long d'un plan de glissementInformations[2]

Équation de Rumpf

En écrivant un le bilan des forces sur la surface de rupture pour une expérience de traction sur un milieu cohésif (voir le schéma suivant), on peut relier la cohésion aux forces entre particules. La traction \(T\) peut s'écrire en fonction de la force interparticulaire \(f\) :

\(T \simeq\frac{N\frac{K}{2}f}{S}\)

en comptabilisant le nombre de liaisons brisées entre particules. \(N\) est le nombre de grains sur la surface \(S\) de rupture et \(\kappa\) est leur coordinence moyenne. \(N\) et \(S\) peuvent être éliminées en écrivant que la porosité sur la surface de rupture est la même que la porosité \(\varepsilon\) en volume si les grains sont répartis de façon aléatoires dans l'espace. On a alors :

\(N\pi\frac{d^2}{4}\simeq \left(1-\varepsilon \right) S\)

Finalement, en combinant ces deux équations, et en écrivant que l'ordre de grandeur de la traction est donnée par la cohésion \(c\) , d'après l'équation de Coulomb[3], on obtient :

\(c\sim \frac{f}{d^2}\kappa \left(1-\varepsilon\right)\)

L'ordre de grandeur de la cohésion est donc une force interparticulaire divisée par la surface d'un grain. Elle augmente quand on diminue la taille des particules et dépend de la géométrie de l'empilement en augmentant quand celui-ci est plus compact. Une importante source de variation pour la cohésion est aussi la force interparticulaire, qui n'est pas monovaluée, et dépend fortement des distances interparticulaire et d'autres facteurs comme précisé ci-dessous.

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Rupture en tractionInformations[5]

RemarqueGranulation

Il est possible d'améliorer la coulabilité d'une poudre fine en la mettant sous forme de petits agglomérats. Il en résulte une diminution de la cohésion apparente après granulation du fait de la répartition non-homogène des grains. La cohésion peut être estimée en considérant les agglomérats comme des grains individuels : en première approximation, la cohésion est réduite d'un facteur égal au ratio au carré entre des dimensions respectives des agglomérats et des grains.

Forces interparticulaires

Les forces interparticulaires peuvent être classées en quatre grandes catégories.

Forces de Van-der-Waals

Les forces de Van-der-Waals sont des forces entre dipôles permanents ou induits qui existent toujours et sont à courte portée. Intégrées entre deux objets macroscopiques, elles sont généralement attractives (et toujours pour deux objets constitués du même matériau). La force entre deux sphères s'écrit :

\(F=\frac{A}{6\bar{d}h^2}\)

\(A\) est une constante dite de Hamaker, qui dépend des matériaux en présence. Elle a les dimensions d'une énergie et vaut autour de \(10^{-19}\) à \(10^{-20}\) Joules pour la plupart des matériaux. \(\bar{d}\) est la moyenne harmonique des diamètres des sphères (\(\frac{1}{\bar{d}}=\frac{1}{d_1} + \frac{1}{d_2}\)). \(h\) est la distance entre les sphères (petite par rapport à leurs diamètres). Cette inter-distance \(h\) a une limite inférieure donnée par la rugosité de surface des sphères pour éviter la divergence de la force au contact.

Lorsque ces forces de Van-der-Waals sont comparées au poids des particules, on conclue que pour la plupart des matériaux, elles deviennent prépondérantes devant la gravité quand leur diamètre devient inférieur à \({10}{\, \rm \mu m}\).

Pour des matériaux mous, comme des polymères faiblement réticulés ou des matériaux proches de leur température de transition vitreuse, les surfaces en contact peuvent devenir importantes et la force d'interaction bien supérieure.

Forces capillaires

Le changement de comportement entre le sable mouillé, qui permet de construire des châteaux de sable et le sable sec est dû aux ménisques d'eau présents entre les grains. La présence de liquide mouillant (i.e. l'angle de mouillage \(\theta\) du liquide sur une surface plane de solide est inférieur à \({90º}\)) conduit à une force attractive entre deux grains s'il subsiste une interface air-liquide. Cette force s'obtient en sommant la tension superficielle sur le contour du ménisque et la dépression capillaire sur la section du ménisque au col :

\(F=2\pi r_{\rm col}\gamma - \pi r_{\rm col}^2 \Delta P\)

\(r_{\rm col}\) est le rayon du col et \(\Delta P = \gamma \bar{r}\) la différence de pression entre l'air et le liquide (\(\bar{r}\) est le rayon de courbure du ménisque).

Ménisques microscopiques ancrés sur des aspérités en contacts (gauche) et ménisque macroscopique (droite) | IMT Mines Albi | Informations complémentaires...Informations
Ménisques microscopiques ancrés sur des aspérités en contacts (gauche) et ménisque macroscopique (droite)Informations[7]

Cette force est proportionnelle à la tension superficielle du liquide \(\gamma\) et dépend du volume du ménisque ainsi que l'angle de mouillage \(\theta\) entre le liquide est les sphères.

Pour un très petit volume de liquide mouillant introduit (voir le schéma précédant, partie gauche), elle peut être estimée par :

\(F\sim \gamma \frac{V_{\rm liq}}{a^2}\)

\(V_{\rm liq}\) est le volume de liquide introduit et \(a\) la taille des aspérités en contact entre les deux sphères.

Si le volume de liquide augmente, on obtient un ménisque dont le rayon de courbure se rapproche du rayon des sphères (voir le schéma précédant, partie droite) et l'ordre de grandeur de la force capillaire est donnée par :

\(F \sim \gamma d\)

\(d\) est le diamètre des grains. Si les grains sont de taille différente, on peut prendre pour \(d\) la moyenne harmonique des tailles (approximation de Derjaguin, vraie pour des sphères en contact).

Si l'on augmente encore la quantité de liquide, les ménisques se mettent à fusionner et la résistance globale de milieu granulaire diminue.

Le liquide peut être un liquide volontairement introduit dans le milieu granulaire ou l'humidité de l'air. Si la pression de vapeur dépasse la pression de vapeur saturante, il y a condensation. Ceci est vrai si l'humidité relative dépasse \({100}{\, \rm \%}\), mais on peut aussi avoir condensation avec une humidité relative inférieure car la pression de vapeur saturante est plus basse au voisinage d'une interface liquide concave qu'au voisinage d'une interface à courbure nulle. Cet effet, étudié par Kelvin est appelée condensation capillaire car il n'est notable que lorsque la courbure est très forte. La pression de vapeur saturante pour une courbure \(\kappa\) vaut

\(\log \left(\frac{P_{\rm sat} \left( \kappa \right)}{P_{\rm sat} \left( 0 \right)} \right)=\frac{-\kappa \gamma V}{RT}\)

\(R\) est la constante des gaz parfaits, \(T\) la température absolue, \(V\) le volume molaire de l'eau liquide. On a par exemple, pour une humidité relative de \({60}{\, \rm \%}\) à \({20}{\, \rm ºC}\), une condensation capillaire pour des ménisques de rayon de courbure de \({2,4}{\, \rm nm}\). en conséquence, la condensation aura lieu aux endroits ou des ménisques de rayon de courbure inférieurs à cette valeur peuvent exister, à savoir aux points de contacts entre grains.

Enfin le liquide en question peut être la vapeur condensée d'un solvant résiduel.

Ponts solides

Les ponts solides peuvent se former par déformation plastique sous fortes contraintes ou par des cycles d'évaporation-recondensation si la tension de vapeur du produit pulvérulent fluctue autour de la pression de vapeur saturante. La recristallisation se fait aux points de contacts par le mécanisme décrit au paragraphe précédent. On peut avoir aussi dissolution partielle des particules solides dans un film liquide présent à la surface avec recristallisation si la pression de vapeur passe au dessous de sa valeur critique. C'est le cas par exemple du sel de cuisine (\(\ce{NaCl}\)) dans de l'air humide. À \({25}{\, \rm ºC}\) et \({75}{\, \rm \%}\) ou plus d'humidité relative, un film macroscopique d'eau saturé en sel se forme sur la surface des grains de sel, qui forment des ménisques. Si l'air est asséché, les ménisques cristallisent et consolident.

Forces électrostatiques

Les particules peuvent acquérir par triboélectrification des charges électriques en frottant entre elles ou par collision avec les parois des récipients dans lesquels elles sont manipulées. Ces charges électriques se repoussent ou s'attirent suivant qu'elles sont de même signe ou de signe différent suivant la loi de coulomb :

\(F=\frac{q_1 q_2}{4\pi_{\rm or} h^2}\)

\(q_1\) et \(q_2\) sont les charges portées par deux grains séparés d'une distance \(h\). \(\varepsilon_0\) est la permittivité du vide et \(\varepsilon_r\) est la permitivité relative du fluide dans lequel se trouve les grains. Stricto sensu, des grains de même matériau devraient acquérir des charges de même signe mais la présence d'impuretés en très faible quantité conduit à des charges de tout signe.

Ces forces qui souvent gênent l'écoulement gravitaire ne conduisent toutefois pas à une cohésion au sens donné précédemment car les forces de Coulomb ne sont pas des forces à courte portée. Toutes les charges en volume ont, par le champ électrique qu'elles génèrent une contribution sur l'écoulement de la poudre électrifiée.

RemarqueRisque d'explosion

L'accumulation de charges électriques dans les milieux granulaires est un problème sérieux qu'il est nécessaire de prendre en compte lors de la manipulation de poudres pour éviter la formation d'arcs électriques. Il faut veiller à relier tous les appareils et camions de déchargement à la terre. Si le produit manipulé est une poudre fine et organique, il peut être nécessaire de travailler sous atmosphère inerte ou peu confinée pour éviter tout risque de déflagration.

Cercles de Mohr et rupture

Pour savoir si un bloc de poudre va se rompre, il nous faut connaître la distribution de contraintes en volume. En se restreignant à deux dimensions, le tenseur des contraintes qui s'applique sur un élément de volume s'écrit sous forme matricielle :

\(\underline{\underline\sigma}=\left(\begin{array}{cc} \sigma_2 & 0 \\ 0 & \sigma_1\end{array}\right)\)

dans le repère pour lequel cette matrice est diagonale (voir schéma).

Contraintes sur une facette orientée d'un angle alpha par rapport à la direction principale maximale | IMT Mines Albi | Informations complémentaires...Informations
Contraintes sur une facette orientée d'un angle alpha par rapport à la direction principale maximaleInformations[9]

Les facettes orientées selon les directions de ce repère subissent des contraintes orientées selon la normale \(\sigma_1\) et \(\sigma_2\), comptées positivement en compression, selon la convention de signe utilisée par les mécaniciens des sols.

La contrainte \(\vec{\sigma}\) qui s'applique sur la facette orientée d'un angle \(\alpha\) par rapport à la direction principale maximale s'écrit :

\(\vec{\sigma}=\underline{\underline\sigma}\cdot\vec{n}=\left(\begin{array}{cc} \sigma_2 & 0 \\ 0 & \sigma_1\end{array}\right)\left(\begin{array}{c} -\sin\left(\alpha\right) \\ \cos\left(\alpha\right)\end{array}\right)=\left(\begin{array}{c} -\sigma_2 \sin\left(\alpha\right) \\ \sigma_1 \cos\left(\alpha\right)\end{array}\right)\)

\(\vec{n}\) est la normale à la facette. Pour savoir si la facette est en limite de rupture ou non, il nous faut connaître les contraintes tangentielles et normales à la facette qui s'obtiennent par projection tangentielle et normale :

\(\tau=\vec{t}\cdot\vec{\sigma}=\frac{\left(\sigma_1-\sigma_2\right)}{2}\sin\left(2\alpha\right)\)

et

\(\sigma=\vec{n}\cdot\vec{\sigma}=\frac{\left(\sigma_1+\sigma_2\right)}{2}+\frac{\left(\sigma_1-\sigma_2\right)}{2}\cos\left(2\alpha\right)\)

en utilisant les règles de l'angle double.

Les deux équations précédentes sont les équations paramétrées d'un cercle dit de Mohr centré sur l'axe des abscisses en \(P=\frac{1}{2}\left(\sigma_1+\sigma_2\right)\) et de rayon \(R=\frac{1}{2}\left(\sigma_1-\sigma_2\right)\) dans le plan des contraintes \(\left(\sigma, \tau\right)\) (voir le schéma précédent[10]).

Les contraintes normales et tangentielles pour une facette orientée d'un angle \(\alpha\) par rapport à la direction principale maximale sont les coordonnées du point sur le cercle d'angle \(2\alpha\) par rapport à \(\left(\sigma_1,0\right)\) (point \(A\) sur le schéma ci-après).

Cercle de Mohr et orientation de la facette de rupture par rapport aux directions principales | IMT Mines Albi | Informations complémentaires...Informations
Cercle de Mohr et orientation de la facette de rupture par rapport aux directions principalesInformations[12]

Pour un liquide au repos, les contraintes tangentielles sont nulles et le cercle de Mohr se réduit à un point.

Pour un point d'un milieu granulaire à l'équilibre, le cercle de Mohr doit être situé dans le cône défini par \(|\tau| < \mu \sigma+c\) (comme le cercle en pointillé sur le schéma précédent[13]). Il y a mise en écoulement possible quand le cercle de Mohr atteint le critère de rupture (cercle en trait plein sur sur le schéma précédent[14]). Dans la direction définie par le point de tangence \(Y\), le critère de rupture est vérifié et un glissement pourra alors être observé ou non. L’importance du glissement dépend des conditions de mouvement des frontières du milieu granulaire. Un tel point est dit en état de rupture.

Il est possible d'obtenir l'orientation de la facette de rupture en notant que son angle par rapport à la direction principale maximale est donné par la moitié de l'angle \(\widehat{{\rm YP}\sigma_1}\). Cet angle se calcule aisément en notant que le triangle \(\rm TPY\) est rectangle. On obtient \(\frac{\phi}{2}+\frac{\pi}{4}\).